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Les extensions d’exclusivité transférables pour financer la recherche contre l’antibiorésistance

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Alors que les besoins de nouveaux antibiotiques sont criants et devraient naturellement attirer les investisseurs, trop peu d’innovation et de R&D sont faits dans le domaine de l’antibiorésistance. On fait face à ce que l’on appelle une défaillance de marché, dont la raison principale est liée à la nécessité de préserver leur valeur pour la santé publique. En effet, la consommation d’antibiotiques a une valeur privée, à court terme, pour chaque patient mais elle a également un impact dans la population car elle favorise le développement de l’antibiorésistance. Pour tenir compte de cette externalité, l’objectif des systèmes d’organisation de soins va être de réduire la consommation d’antibiotiques pour préserver leur efficacité et ne les utiliser qu’en cas de dernier recours. Ainsi les industriels qui lanceraient de nouveaux antibiotiques sur le marché ne pourraient escompter que de petits volumes de ventes.  Il faudrait donc des prix de vente élevés pour en assurer la rentabilité. Or, au contraire les prix de ventes sont faibles parce qu’il est trop risqué pour le régulateur d’accorder des prix énormes à des médicaments sans effets secondaires immédiats dont le reste à charge est nul et que les industriels auraient alors intérêt à promouvoir. Cette association prix faibles et quantités faibles explique l’insuffisance des investissements dans l’innovation en matière de nouveaux antibiotiques.

Solution #1

Une des solutions possibles qui n’a malheureusement pas été utilisée pour l’instant serait d’imposer l’utilisation d’un test de diagnostique pour tout usage d’antibiotique pour lequel des prix très élevés pourraient alors être payé pour des antibiotiques innovants efficaces. Il faut pour cela que les autorités s’engagent sur des prix très élevés et sur une régulation stricte imposant l’utilisation des tests. Ce type de régulation stimulerait les efforts d’innovation contre l’antibiorésistance à la fois en permettant à l’industrie d’investir plus dans le diagnostic et dans les antibiotiques. Sans cette régulation conjointe du diagnostic obligatoire permettant d’utiliser un antibiotique innovant très cher, la valeur de marché des innovations contre l’antibiorésistance restera trop faible pour générer des innovations.

Solution #2

Une alternative à cette régulation est de déconnecter la rémunération de l’innovateur des quantités vendues en promettant une récompense fixe pour les inventeurs d’un antibiotique innovant qui serait disponible et utilisable en cas de dernier recourt.

Ainsi a été émise l’idée de promettre une récompense suffisamment importante à tout innovateur contre une bactérie multirésistante. La difficulté réside alors dans la mise en place d’une incitation suffisamment important. Le Royaume Uni a mis en place récemment une expérience pilote mais ce type d’initiative fait face au problème du passager clandestin. L’innovation étant un bien public, aucun pays ne voudra la payer seul, mais chaque pays a intérêt à minimiser sa contribution potentielle ce qui ne permet pas de financer l’innovation. Ce résultat a été démontré par Moisson, Dubois et Tirole (2023).

Solution #3

Une alternative consiste à utiliser des extensions d’exclusivité transférables ou vouchers qui pourraient être mise en place par l’Agence Européenne du Médicament et dont la commission européenne a proposé le principe dans la nouvelle législation du médicament du 26 avril 2023.

Avec un tel système, l’innovateur reçoit une extension des droits de propriété intellectuelle pour la mise au point d’un nouvel antibiotique. Il peut l’utiliser lui-même ou bien le vendre à un détenteur d’un médicament très rentable (un blockbuster) dont le brevet (donc la période d’exclusivité) va bientôt expirer : il pourra ainsi retarder l’arrivée de génériques équivalents. A l’échelle de l’Europe, l’Agence Européenne des Médicaments (EMA) pourrait être le régulateur de ces vouchers.

L’avantage de ce mécanisme est qu’il s’impose à chaque pays qui utilise cet autre médicament. Bien sûr, cela signifie que le médicament qui bénéficie d’une extension d’exclusivité est vendu à un prix élevé pendant une période plus longue. Ce mécanisme donc a un coût social, puisque c’est le système de santé de chacun des pays qui le finance.

Figure 1: Exemple de prise en charge par voucher pour financer l’investissement en antibiorésistance

Cependant, Dubois, Moisson et Tirole (2023) a comparé, dans différents pays européens, le ratio coût/bénéfice pour la collectivité d’une rémunération de l’innovateur sous forme de voucher par rapport à une prise en charge directe classique. Cette comparaison montre que le coût du voucher est en général moins élevé du fait de la marge des génériques et du coût des fonds publics. En effet, prenons l’exemple simplifé (Figure 1) d’un médicament innovant dont le cout marginal de production serait de 100 euros et vendu 1,000 euros tant que son brevet le protège de la concurrence. Avec un marché de 100,000 doses par an l’entreprise princeps fait donc un profit de 90 millions par an pour un cout pour l’assurance maladie de 100 millions. Lorsque les génériques entrent, en supposant qu’ils acquièrent 50% de part de marché et que le prix devient 400 euros par dose, les profits de l’entreprise princeps baissent à 15 millions et celui du générique est aussi de 15 millions pour un coût pour les assurés de 40 millions. Dans un tel exemple, l’entreprise princeps serait donc prête à payer jusqu’à 75 millions pour étendre l’exclusivité du médicament d’un an. C’est cette valeur qu’un innovateur détenteur d’une extension d’exclusivité transférable pourrait faire payer à un détenteur de brevet rentable, ce qui permet de financer 75 millions euros de R&D à un cout pour la société de 60 millions puisque l’on devra les 100,000 doses du médicament 1,000 euros au lieu de 400 pendant une année supplémentaire.

Ainsi, le système est intéressant à la fois en termes politiques, pour aligner l’ensemble des pays européens dans une direction commune, et en termes d’efficacité de la dépense publique.

En pratique, au lieu de fixer une durée d’extension d’exclusivité (transférable) comme récompense à un innovateur, il peut être préférable de récompenser celui-ci par un montant fixe du voucher (de façon suffisante pour inciter à l’investissement contre une bactérie multirésistante par exemple) qui sera l’objet d’une enchère entre l’innovateur et les sociétés pharmaceutiques : celle qui proposera la durée de maintient exclusif sur le marché la plus courte sera sélectionnée.


Références

Dubois, Moisson, Tirole (2023) “The Economics of Transferable Patent Extensions” mimeo

Dubois, Moisson, Tirole (2023) “Can transferable patent extensions solve the market failure for antibiotics?” https://www.tse-fr.eu/sites/default/files/TSE/documents/HealthCenter/2022-11_transferable_patent_extensions.pdf

Moisson Paul-Henri, Pierre Dubois, Jean Tirole (2023) “The (Ir)Relevance of the Cooperative Form”, TSE Working Paper, n. 23-1453, June 2023.


Auteur

Pierre Dubois

Toulouse School of Economics