Editorial par Jean-Yves Madec

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L’antibiorésistance : One Health ou pas One Health ?

Jean-Yves Madec, Directeur scientifique de l’axe Antibiorésistance de l’Anses et Chef de l’unité Antibiorésistance et Virulence Bactériennes (Anses Lyon)

L’antibiorésistance est avant tout un sujet pour les médecins car la difficulté – voire l’impossibilité – à traiter l’humain de ses infections bactériennes est contraire aux valeurs du soin. L’antibiorésistance médicale a émergé, puis explosé, depuis la mise sur le marché des antibiotiques, et continue d’inquiéter. Or pendant près de 40 ans, la médecine vétérinaire est restée absente des débats.

En pratique, l’échec thérapeutique n’existe quasiment pas pour les animaux domestiques, les vétérinaires n’avaient donc pas de raison de se préoccuper du sujet. Ils l’ont fait (en France notamment) pour des raisons de santé publique. Pour éviter que l’antibiorésistance animale, même si elle ne pose pas vraiment de problème, ne contribue au fardeau de l’antibiorésistance chez l’humain. Le sujet est donc One Health, mais la préoccupation reste humaine.

L’antibiorésistance humaine a-t-elle baissé pour autant en France ? Pas vraiment, malgré la diminution massive de l’antibiorésistance animale. Le sujet est-il si One Health ?

Et l’environnement ? Les deux secteurs précédents polluent le troisième, et cette atteinte des écosystèmes est indéfendable. Mais le succès thérapeutique des antibiotiques en ville et à l’hôpital est-il impacté en retour par cette pollution environnementale ? Personne ne l’a quantifié à ce jour.

Également, les antibiotiques sont considérés comme un bien public. C’est-à-dire un bien dont l’utilisation par les uns ne prive pas les autres. Mais ce n’est pas le cas ici puisque l’accès aux antibiotiques met en rivalité l’humain et les animaux. Pour ces derniers, la seule perspective est la restriction progressive de l’arsenal thérapeutique vétérinaire.

En fait, il manque un projet de société pour les antibiotiques. Un projet qui adresse, autour d’une même table, les enjeux à 10, 20 ou 50 ans à couvrir en matière d’utilisation de ces médicaments, à la fois dans le domaine de la santé publique, de la santé animale, de la sécurité alimentaire et de la préservation de l’environnement. Un projet One Health, en quelque sorte …

Oui l’antibiorésistance est un sujet One Health. Dans le sens où les frontières entre secteurs ne sont pas étanches aux flux de gènes et de bactéries. Mais les transferts massifs intersectoriels semblent rares. Et dans la majorité des cas, ils ne sont pas quantifiés. L’esprit One Health doit assurément être présent en tout temps. Mais il ne doit pas globaliser exagérément, au risque de s’éloigner d’analyses scientifiques pertinentes qui nourriront les meilleures décisions publiques. Sur un plan politique, une société qui se revendique One Health doit s’accorder sur ce qu’elle veut pour les antibiotiques globalement, et porter des arbitrages cohérents qui tiennent compte des besoins des humains dans l’ensemble des composantes de sa vie, incluant le monde animal et tous les écosystèmes qui l’entourent.


L’Anses en bref

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