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Renforcer l’accès aux antibiotiques négligés en Europe

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L’accès aux antimicrobiens est nécessaire pour qu’un système de santé moderne fonctionne correctement, permettant de traiter les infections et de faire des interventions chirurgicales avancées, telles que des transplantations d’organes ou des chimiothérapies, en limitant les risques d’infections post-chirurgicales.

Chaque année, près de 1,3 millions de personnes décèdent d’infections bactériennes résistantes.1 Cela n’implique pas que les bactéries en question soient résistantes à tous les antibiotiques, mais plutôt que les patientes ou patients n’ont pas reçu le bon antibiotique au bon moment. Cependant, il y a aussi une hausse des infections bactériennes multi-résistantes.2

Dans les pays à revenus élevés, l’antibiorésistance est principalement due à un excès de consommation. Plus un antibiotique est utilisé, plus il y a de chances qu’une bactérie résistante se développe et se transmette.3 D’où le concept du bon usage des antibiotiques – il faut utiliser le bon antibiotique au bon moment, et privilégier l’utilisation d’antibiotiques à spectre étroit. Chaque antibiotique a un spectre d’activité antimicrobienne évalué, qui permet de répertorier sur quelles bactéries il sera efficace. L’utilisation d’antibiotiques à large spectre tue non seulement la bactérie nocive mais aussi des bactéries anodines, ce qui augmente la probabilité de développer des résistances.

Malheureusement, dans au moins neuf pays européens en 2022, il y a eu une augmentation des prescriptions d’antibiotiques à large spectre par les cliniciens.4 Ceci a un impact non seulement sur le développement de résistances, mais également sur la disponibilité d’antibiotiques à spectre étroit : moins de prescriptions veut dire moins de ventes, et donc un marché moins attractif pour les entreprises qui mettent sur le marché ces antibiotiques. Quand le marché cesse d’être viable, les entreprises retirent leur antibiotique du marché, et il n’est plus disponible quand il est prescrit par les cliniciens. De cette manière, beaucoup d’antibiotiques à spectre étroit ont été « oubliés » faute de disponibilité, et ont été enlevés des recommandations nationales de prescription d’antibiotiques.5

Dans le cadre de la deuxième action coordonnée européenne sur l’antibiorésistance et les infections liées aux soins (European Union Joint Action on Antimicrobial Resistance and Healthcare-Associated Infections, EU-JAMRAI-2, www.eu-jamrai.eu), une partie des travaux portent sur l’amélioration de la disponibilité de certains antibiotiques plus anciens et à spectre étroit pour utilisation humaine ou vétérinaire. Quatorze pays ont sélectionné des antibiotiques clés médicalement importants et avec des chaines de production à risque (souvent en rupture de stock, retires du marché ou non mis sur le marché pour le territoire). Le but est d’identifier des actions possibles pour améliorer la disponibilité de ces antibiotiques. Le consortium travaillera avec les acteurs régionaux, nationaux, et Européens sur des interventions visant l’offre et la demande, afin d’améliorer la disponibilité de certains antibiotiques et d’augmenter le catalogue d’antibiotiques disponibles à la prescription.

Un exemple est le cas de la phénoxyméthylpénicilline (pénicilline V), un antibiotique à spectre étroit datant des années 1950 dont la consommation est en baisse à travers l’Europe.6 Alors que dans les pays scandinaves la phénoxyméthylpénicilline reste un traitement de première ligne pour beaucoup d’infections, cet antibiotique n’est pas possible dans certains pays Européens où des résistances sont apparues. Mais ces résistances ne concernent pas toutes les bactéries : par exemple les infections aux Streptococcus A peuvent être traitées efficacement à la phénoxyméthylpénicilline dans beaucoup de pays.7 Or, cet antibiotique peut être prescrit que s’il est disponible dans les pharmacies locales.

L’accès à la phénoxyméthylpénicilline est d’autant plus compliqué que les différents pays scandinaves utilisent des dosages différents d’antibiotiques pour des raisons historiques d’autorisations de mise sur le marché datant d’il y a plus de 50 ans, ce qui entraine une fragmentation du marché. Pour améliorer l’accès à cet antibiotique, le projet EU-JAMRAI-2 va étudier comment les dosages peuvent être harmonisés en Europe (et au-delà), consolidant ainsi le marché existant. En parallèle, les professionnels de soins doivent être informés de la disponibilité et de l’utilité de cet antibiotique, et il faudrait qu’ils soient incités à les prescrire plutôt que des antibiotiques à spectre plus large. Ceci démontrera aux producteurs d’antibiotiques qu’un marché viable existe au-delà des pays scandinaves.

Un autre antibiotique « oublié » est le pivmecillinam (également une pénicilline à spectre étroit), mis sur le marché dans les années 1970 pour traiter les infections urinaires. Alors que cet antibiotique est peu utilisé en Europe,6 il a récemment été approuvé aux états unis en tant que “nouvel” antibiotique, doté d’une désignation spéciale visant à stimuler l’innovation pour la recherche d’antibiotiques, en garantissant une exclusivité de marché, protégeant le produit d’une production compétitive de génériques.8 L’attention donnée à cet antibiotique aux USA pourrait provoquer des effets positifs en Europe, en montrant aux cliniciens européens l’utilité de cet antibiotique, qui peut être produit et distribué en Europe sous forme de médicament générique à des prix compétitifs.

Un manque d’accès à des antibiotiques importants augmente la probabilité de développer des résistances antimicrobiennes. Si le bon antibiotique n’est pas disponible au bon moment, les cliniciens prescrivent d’autres antibiotiques moins efficaces à spectre large. Si cette indisponibilité persiste, les cliniciens changent leurs habitudes de prescription, ce qui entraine la suppression d’un médicament du marché. Les antibiotiques à spectre étroit sont un marché vulnérable, ce marché étant de plus en plus petit et les retours sur l’investissement faibles. Le consortium EU-JAMRAI-2 va tenter de démontrer que cela peut changer. Les pays membres peuvent assurer un accès fiable aux antibiotiques à spectre étroit en s’appuyant sur des coopérations et interventions régionales et européennes.


Références

1. Murray CJ, Ikuta KS, Sharara F, et al. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. The Lancet 2022; 399(10325): 629-55.
2. European Centre for Disease Prevention and Control. Risk Assessment: Emergence of hypervirulent Klebsiella pneumoniae ST23 carrying carbapenemase genes in EU/EEA countries – first update. Stockholm: ECDC, 2024.
3. Holmes AH, Moore LS, Sundsfjord A, et al. Understanding the mechanisms and drivers of antimicrobial resistance. The Lancet 2016; 387(10014): 176-87.
4. European Centre for Disease Prevention and Control. Antimicrobial consumption in the EU/EEA (ESAC-Net). Stockholm: ECDC, 2023.
5. Pulcini C, Mohrs S, Beovic B, et al. Forgotten antibiotics: a follow-up inventory study in Europe, the USA, Canada and Australia. International journal of antimicrobial agents 2017; 49(1): 98-101.
6. Bruyndonckx R, Adriaenssens N, Hens N, et al. Consumption of penicillins in the community, European Union/European Economic Area, 1997–2017. Journal of Antimicrobial Chemotherapy 2021; 76(Supplement_2): ii14-ii21.
7. Van Driel ML, De Sutter AI, Thorning S, Christiaens T. Different antibiotic treatments for group A streptococcal pharyngitis. Cochrane Database of Systematic Reviews 2021; (3).
8. US Food & Drug Administration. FDA Approves New Treatment for Uncomplicated Urinary Tract Infections. 2024. https://www.fda.gov/news-events/press-announcements/fda-approves-new-treatment-uncomplicated-urinary-tract-infections (accessed May 6 2024).


Autrice

Christine Oline Årdal

Senior Scientist at the Norwegian Institute of Public Health, Oslo, Norway