Article et rapports publiés sur le site de la Cour des comptes le 10 février 2022
Consacrée à des maladies longtemps considérées comme étant traitées par la réponse antibiotique et vaccinale, ou cantonnées aux pays en voie de développement, la recherche en infectiologie est revenue au centre des préoccupations. Dans le présent rapport, la Cour des comptes s’intéresse aux moyens accordés à la recherche en infectiologie, ainsi qu’à son pilotage et à sa coordination.
Si la crise sanitaire du SARS-CoV-2 a rappelé que les maladies infectieuses émergentes constituent une menace universelle, elle a également mis en lumière le manque de préparation, d’anticipation et de priorité accordées par la France à la lutte contre ces maladies.
Alors que la recherche française avait réussi à démontrer son succès s’agissant de la lutte contre le sida, notamment en termes de coordination et de financement, le reste de la recherche en infectiologie n’a pas bénéficié des mêmes structurations, malgré les signaux d’alerte précoces constitués par des épisodes épidémiques récurrents au niveau mondial (tels que H1N1 et Ebola).
Afin que la recherche sur les maladies infectieuses puisse être, à terme, érigée en priorité nationale, la Cour formule cinq recommandations.
Une recherche en infectiologie réputée, mais une priorité insuffisante accordée aux maladies infectieuses émergentes et réémergentes
Dans les classements internationaux, la recherche française en infectiologie se situe à un niveau très honorable. Cependant, et malgré la récurrence des épisodes épidémiques depuis vingt ans, aucun mouvement de structuration dans le domaine des maladies infectieuses n’a été enclenché. De fait, la recherche en infectiologie n’a pas été en mesure de produire rapidement un vaccin ou une prophylaxie médicamenteuse contre la Covid 19.
Par ailleurs, les financements globaux accordés à cette recherche ne font l’objet d’aucun suivi spécifique de la part des ministères chargés de la recherche et de la santé. Si l’on observe une légère progression dans ce domaine – de l’ordre de 14 % entre 2015 et 2020 -, ces ressources n’ont pas fait l’objet d’une priorité marquée.
Des fragilités en matière de pilotage et d’attractivité du métier de chercheur
À l’instar du reste de la recherche biomédicale, la recherche en infectiologie souffre d’une insuffisance de pilotage des nombreux acteurs impliqués. La pluralité des organismes de recherche, qui disposent chacun de leurs propres systèmes d’information et règles de gestion, rend plus complexe la coordination des unités de recherche. Cette complexité, nourrie également par la part croissante prise par les appels à projets, pèse directement sur le travail des chercheurs. Ces derniers consacrent alors un temps réduit à leurs travaux de recherche, ce qui, conjugué à des rémunérations d’un niveau inférieur aux standards des pays comparables, réduit l’attractivité des laboratoires français.
Si la réaction de la recherche française en infectiologie au moment de la crise sanitaire a été rapide, l’absence de pilotage stratégique a conduit à une dispersion des financements et des essais cliniques, au détriment des projets les plus prometteurs – comme l’avait souligné la Cour dans l’audit flash de juillet 2021 consacré au financement de la recherche publique dans la lutte contre la pandémie.
Un passage entre recherche et innovation freiné par le manque de coordination des acteurs et l’absence de maturité de l’écosystème public-privé
Le continuum entre la recherche fondamentale, la recherche clinique et l’innovation reste encore insuffisamment développé. Les liens entre recherche publique et industrie doivent s’améliorer. Surtout, le passage de la recherche vers l’innovation thérapeutique rencontre une difficulté spécifique au secteur de l’infectiologie : les maladies infectieuses, concentrées dans les pays à faible revenu, souffrent en effet d’un désintérêt de la part des industriels, faute de modèle économique rentable. Par ailleurs, la recherche de rupture devrait être favorisée.
Renforcer le pilotage, les moyens et la coordination de la recherche sur les maladies infectieuses
La Cour considère que l’extension du champ de compétence, opérée en janvier 2021, de l’ANRS (Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales) aux maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE) constitue une première réponse au manque de coordination du financement et des projets au cours de la crise sanitaire.
Cependant, cette extension doit aller de pair avec l’octroi, le fléchage et la traçabilité d’une allocation financière pérenne et constante pour l’exercice de cette mission élargie et, à terme, avec l’attribution du rôle de chef de file de la recherche en infectiologie à cette structure.
Enfin, le rôle de la future agence de l’innovation en santé apparait primordial pour inciter à l’investissement public comme privé dans la recherche sur les maladies infectieuses émergentes.