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L’Europe unie dans la lutte contre l’antibiorésistance.

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Flag of the European Union waving in the wind on flagpole against the sky with clouds on sunny day, banner, close-up

Yohann Lacotte

Evelyne Jouvin-Marche

Marie-Cécile Ploy

La résistance aux antibiotiques (RAM) est aujourd’hui l’un des enjeux majeurs en Santé Publique à l’échelle mondiale. Les antibiotiques, indispensables à la médecine moderne, permettent de traiter et prévenir de nombreuses infections, notamment lors de chirurgies, de greffes ou de chimiothérapies.

Pourtant ces précieuses molécules sont aujourd’hui menacées alors que de plus en plus de bactéries développent des résistances et que de moins en moins d’antibiotiques innovants sont mis sur le marché.

Chaque année l’antibiorésistance serait responsable de 1,1 à 1,3 millions de décès dans le monde d’après des chiffres de 2019 1 et 2021 2 dont 33 000 en Europe 3.

Entre 2025 et 2050, ce sont 39 millions de personnes qui pourraient décéder des suites d’une infection bactérienne résistante aux antibiotiques 2.

En Europe, la RAM entraîne 2,5 millions de jours d’hospitalisation supplémentaires et coûte 1,5 milliard d’euros par an 4. Elle a aussi des conséquences sur les rendements agricoles avec une augmentation de la mortalité des animaux de rente et une perte économique évaluée à 13 milliards de dollars chaque année 5.

Le phénomène de la RAM est complexe et difficile à enrayer. En effet, les bactéries développent des résistances qu’elles peuvent transmettre à d’autres bactéries. Cette propagation de la résistance est notamment amplifiée par la sur-utilisation des antibiotiques. Par ailleurs, les bactéries circulent facilement d’un pays à l’autre via les flux touristiques et commerciaux, et la résistance concerne aussi bien le secteur humain qu’animal ainsi que l’environnement. La RAM a donc une dimension globale.

Pour faire face, il convient donc d’adopter une approche holistique s’attaquant au problème dans toutes ses dimensions (humaine/animale/environnementale) : une approche dite « One Health » ou « Une Seule Santé ».

Depuis 2015 et la publication d’un plan d’action global par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) 8, les différents pays et organisations internationales ont pris conscience de la nécessité de s’organiser pour établir ensemble des feuilles de route pour réduire le fléau de l’antibiorésistance. De plus, la nécessité d’une coordination « One Health » a conduit 4 organisations internationales (OMS, organisation mondiale pour la santé animale OMSA, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture FAO et le Programme des Nations unies pour l’environnement UNEP) à se regrouper sous l’appellation « Quadripartite » pour établir des plans d’action conjoints.

L’Europe a rapidement suivi ce mouvement et, en 2017, la Commission Européenne a adopté un plan d’action « Une Seule Santé » pour faire de l’Europe un modèle de bonnes pratiques en matière de lutte contre la RAM 6.

Ce plan couvre les 3 santés (humaine/animale et environnement) et s’articule autour de sept axes :

  • Bon usage des antibiotiques,
  • Prévention des infections,
  • Surveillance,
  • Sensibilisation,
  • Recherche,
  • Engagement politique
  • Et coopération internationale.

En 2023, l’Europe est allée plus loin et a fixé des objectifs à atteindre à l’horizon 2030 dans tous les états membres et a proposé des actions pour y parvenir 7. Parmi ces objectifs :

Une réduction de 20 % de la consommation humaine totale d’antibiotiques et une réduction de 50 % des ventes globales dans l’UE d’antimicrobiens utilisés pour les animaux de ferme et l’aquaculture.

En 2024, les Nations Unies ont renforcé cet engagement mondial via une déclaration d’actions approuvée par les différents pays pour réduire la mortalité due à la RAM de 10% d’ici 2030.

Pour traduire ses engagements en actions concrètes et aider les état membres à renforcer leurs politiques de santé publique en matière de lutte contre la RAM, la Commission Européenne a financé, entre autres, deux actions conjointes Européenne pour lutter contre la RAM et les infections associées aux soins, appelées EU-JAMRAI.

La première action conjointe, EU-JAMRAI 1 (2017-2021), financée à hauteur de 4 millions d’euros, réunissait 44 partenaires (ministères, agences de santé publique, instituts de recherches, hôpitaux…) issus de 26 pays. Ce projet piloté par la France, via l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), avait pour ambition de coordonner une réponse unifiée à la RAM en Europe et de codévelopper des politiques de santé publique et outils pour y répondre. Ce programme collaboratif a permis aux différents pays impliqués d’échanger sur leurs pratiques et a donné lieu à différentes notes d’orientation visant à informer les décideurs politiques européens des besoins qui restaient à combler avec la mise en place d’outils de structuration et de formation.

Dans ce sens, la EU-JAMRAI 1 a initié un programme européen de surveillance de la résistance chez les animaux malades, EARS-Vet, sur le modèle du programme en santé humain, EARS-Net coordonné par l’agence européenne pour le contrôle et la prévention des infections, ECDC 9. De plus, la EU-JAMRAI 1 a développé un plan de sensibilisation du grand public via un jeu en ligne pour sensibiliser aux maladies infectieuses et à leur prévention, des campagnes de communication sur les réseaux sociaux ou le développement d’un symbole pour représenter la problématique de la RAM.

Suite à cette première édition réussie, la Commission Européenne a lancé une seconde action conjointe baptisée EU-JAMRAI 2 (2024-2027).  Financée à hauteur de 50 millions d’euros, et toujours portée par la France, via l’Inserm, cette seconde édition du projet réunit désormais 128 partenaires issus de 30 pays, incluant les 27 États membres de l’Union Européenne, ainsi que la Norvège, l’Islande et l’Ukraine. Dans la continuité du projet EU-JAMRAI 1, les axes de travail principaux sont le bon usage des antibiotiques, la prévention des infections, la surveillance de la résistance, l’amélioration de l’accès aux traitements, et la sensibilisation – tout en intégrant davantage l’approche « Une Seule Santé » avec des activités ciblant les 3 santés.

Le projet met ainsi en œuvre des activités transversales, comme le développement d’une surveillance intégrée « Une Seule Santé » à l’échelle européenne définissant des indicateurs permettant de suivre l’évolution de la résistance aux antibiotiques dans les 3 secteurs, humain, animal et environnemental. Le projet EU-JAMRAI 2 mettra aussi l’accent sur la formation et le renforcement des capacités tant pour les professionnels que pour les décideurs politiques, avec des mesures visant à soutenir les efforts nationaux. L’un des principaux défis de l’action conjointe sera d’assurer l’engagement politique continu des pays participants pendant et après le projet.

À cette fin, le projet s’appuiera sur un réseau européen de décideurs politiques, incluant au moins un représentant par pays participant. Ce réseau permettra de renforcer la coopération entre les pays, de faciliter l’échange de bonnes pratiques et d’identifier les besoins spécifiques de chaque pays en matière de lutte contre la RAM, afin d’y apporter des réponses adaptées.

A travers le projet EU-JAMRAI 2, l’Europe s’engage donc dans cette dynamique mondiale d’une démarche coordonnée « Une Seule Santé », en appui aux efforts nationaux de développement de plans d’actions de lutte contre la RAM dans tous les pays.

Via ses ambitions, le projet EU-JAMRAI 2 dessine un avenir où les pays européens partageront activement leurs bonnes pratiques en matière de lutte contre la RAM, où les professionnels de santé seront formés aux meilleurs standards de soin, où les patients auront accès à des traitements appropriés et où les citoyens seront sensibilisés à la nécessité cruciale de préserver l’efficacité des antibiotiques.

Mais alors, l’Europe parviendra-t-elle à atteindre son ambition d’être un modèle de bonnes pratiques en matière de lutte contre la RAM ? Réponse fin 2027 à la fin du projet EU-JAMRAI 2.

Références :

1 Murray et al., Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. The Lancet, Volume 399, Issue 10325, 629 – 655

2 Naghavi et al., Global burden of bacterial antimicrobial resistance 1990–2021: a systematic analysis with forecasts to 2050. The Lancet, Volume 404, Issue 10459, 1199 – 1226

3 Cassini et al., Attributable deaths and disability-adjusted life-years caused by infections with antibiotic-resistant bacteria in the EU and the European Economic Area in 2015: a population-level modelling analysis. Lancet Infect Dis. 2019 Jan;19(1):56-66.

4 ECDC, The bacterial challenge: time to react – A call to narrow the gap between multidrug-resistant bacteria in the EU and the development of new antibacterial agents. 2009

5 UNEP, Bracing for Superbugs: Strengthening environmental action in the One Health response to antimicrobial resistance. 2023. https://www.unep.org/resources/superbugs/environmental-action

6 A European One Health Action Plan against Antimicrobial Resistance (AMR). 2017. https://health.ec.europa.eu/document/download/353f40d1-f114-4c41-9755-c7e3f1da5378_fr?filename=amr_2017_action-plan.pdf

7 Council Recommendation on stepping up EU actions to combat antimicrobial resistance in a One Health approach. 2023. https://health.ec.europa.eu/publications/council-recommendation-stepping-eu-actions-combat-antimicrobial-resistance-one-health-approach_en?prefLang=fr

8 Global action plan on antimicrobial resistance. 2015. https://www.who.int/publications/i/item/9789241509763

9 Réseau de surveillance europen EARS-Net, https://www.ecdc.europa.eu/en/about-us/networks/disease-networks-and-laboratory-networks/ears-net-data

Auteur et autrices

Yohann Lacotte

Chef de projet
PROMISE

Evelyne Jouvin-Marche

Coordinatrice
scientifique du
PPR Antibiorésistance

Marie-Cécile Ploy

Professeure de
microbiologie

1 : Université de Limoges, Inserm, CHU Limoges, RESINFIT, U 1092, 87000 Limoges, France

2 : Inserm, Institut thématique Physiopathologie, Métabolisme, Nutrition (PMN), 75013 Paris, France